La lisibilité des garanties en prévoyance d'entreprise
Doctrine

La lisibilité des garanties en prévoyance d'entreprise

Dans ce billet, j'analyse les dernières recommandations du CCSF pour la lisibilité des contrats de prévoyance, en soulignant les défis juridiques et proposant des améliorations pour mieux informer les assurés.

Dans son avis du 16 janvier 2024, le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) a publié des recommandations pour faciliter la compréhension et la comparabilité des contrats de prévoyance d’entreprise.

On ne peut que se réjouir : toute initiative visant à augmenter le degré d’appropriation des couvertures par les clients doit être accueillie avec un œil bienveillant.

Néanmoins, après lecture des tableaux avec mon œil de courtier, je me demande si ce nouveau livrable va réellement permettre de réaliser pleinement son ambition ?

CCN et lisibilité

Tout d’abord, on constate que le Comité a décidé d’évoquer la thématique des obligations CCN dans le tableau.

Cette démarche est intéressante car vise à expliquer l'une des sources des obligations patronales en prévoyance.

On peut cependant apporter quelques précisions. En effet, en préambule du tableau de l’Avis, il est écrit que :

les garanties souscrites par l’employeur doivent être au moins équivalentes à celle prévue par la convention collective si un accord de prévoyance a été conclu par votre branche professionnelle ».

Le propos mérite d’être nuancé sur ces notions « d’équivalence » de garanties et de « conclusion » d’un accord.

1.      La notion d’"équivalence" est piégeuse.

Le principe d’équivalence des garanties s’applique dans la relation entre un accord collectif d’entreprise et un accord de branche.

Or, en pratique, le tissu entrepreneurial français est composé d’une majorité de petites structures. L’essentiel des mises en place se formalisent donc par la voie de la Décision unilatérale du chef d’entreprise (DUE).

Et dans la relation entre un accord de branche et une DUE, ce n’est pas le principe de l’équivalence des garanties qui s’applique, mais le principe de faveur, autrement appelé principe du « globalement plus favorable ».

La différence est subtile et le jeu de la comparaison incertain.

Concrètement, quand un employeur formalise son régime par accord d’entreprise, celui-ci doit faire aussi bien que la branche (principe d’équivalence), quand la DUE doit faire mieux (principe du globalement plus favorable).

Ces notions laissent donc place à des marges d'interprétation.

C’est d’ailleurs pour cette raison que nombre d'acteurs de l'assurance, dans leurs offres, promeuvent essentiellement une approche de la conformité « ligne à ligne » en prévoyance lourde :

  • soit par le biais d'offres dédiées à telle ou telle CCN,
  • soit par le bais d'offres interprofessionnelles dont les curseurs de prestations minimales sont savamment positionnés pour maitriser les risques.

2. Un accord de branche "conclu" n'est pas nécessairement applicable.

Un accord peut avoir été conclu au sein de telle branche professionnelle, et pour autant ne pas être applicable dans la relation employeur/salarié.

Ce point est lié à des subtilités juridiques concernant l’entrée en vigueur des accords de branche.

En résumé, plusieurs cas de figures coexistent : les accords "à deux vitesses", les accords à différés d’application, les accords à champs limité ou encore les accords conclus mais finalement inopposables.

Bref, nous avons une diversité de configurations, subtilités, lesquelles font que la conclusion d’un accord ne présage pas à elle seule de son application.

Et enfin, gardons à l’esprit que la conformité CCN ne se limite pas à apprécier le contenu d’un tableau de garanties conventionnel.

C’est un écueil que je rencontre régulièrement en clientèle.

Certains clients, profanes en la matière, et donc candidats aux bons conseils d’un courtier, ne savent pas forcément qu’être conforme à sa CCN va au-delà du respect de la grille de garanties conventionnelle.

D’autres paramètres de fonctionnement du régime entrent en ligne de mire, tels que les modalités de son financement pour ne citer que cet exemple.

C'est là toute la valeur ajoutée du courtier en prévoyance d'entreprise : proposer une profondeur de conseil qui ne se limite pas au "produit", mais qui vise à appréhender la situation concrète du client sous tous les angles, dont celui des obligations CCN.

Couverture d’assurance et lisibilité

Puisque notre système de protection sociale fait intervenir, pour une même dépense, plusieurs payeurs, il est effectivement souhaitable de présenter l’articulation des différents financeurs d’une prestation globale.

Merci le CCSF d'avoir mis ce point en exergue. Cette démarche enfonce le clou quant à la nécessité de comprendre notre système si complexe.

Toutefois, sur certains points, les tableaux d’exemples de l’Avis manquent soit de consistance, soit de facilité de compréhension.

Ne perdons pas de vue que l’objectif final est la lisibilité, pour mieux comprendre ET comparer, au bénéfice des signataires et bénéficiaires de contrats.

Par exemple, je vous illustre deux points, grosse maille, ayant retenu rapidement mon attention :

  • D’une part, l’invalidité d’origine professionnelle (que l’on appelle techniquement l’IPP pour incapacité permanente partielle) est tout simplement absente du document. Je comprends qu'on ne puisse pas tout dire.

Mais, en pratique, c’est justement l’une des prestations sur laquelle l’enjeu de comparaison est le plus fort.

En effet, la formule de calcul de la prestation servie par la sécurité sociale est complexe, tout autant que le sont les expressions de garanties des assureurs.

Il y a donc un enjeu fort à expliquer au client, par exemple, que le contrat prévoyant une prestation fixe sur la tranche d’IPP 33-65, ne couvre pas pareil qu’un 3N2 ou un N66 (pour les intimes !)

  • D’autre part, la présentation faite de l’articulation entre les IJSS, le maintien de salaire légal ou conventionnel, et l’incapacité de travail complémentaire amène-t-elle vraiment plus de lisibilité ?

Je vous avoue avoir eu du mal à l'appréhender avec facilité, et j'ai l'impression qu'il y a aussi quelques coquilles.

Si vous avez eu l’amitié de me lire jusqu’ici, je vous partage le fonds de ma pensée : cet Avis est certainement bienvenu, mais il n’est pas suffisant.

La bataille pour la lisibilité

Nous, professionnels de l’assurance, avons le devoir de faire mieux, dans l’intérêt des assurés.

Plutôt que travailler à la production d’un nouveau livrable à disposition d’employeurs ou de salariés qui probablement, auront du mal à l’exploiter vu sa technicité, ne devrions nous pas concentrer nos efforts sur l'amélioration de l'existant ?

Concrètement, je pense ici à la lisibilité des tableaux de prestations, quel que soit le stade de la relation (devis ou post signature).

En effet, l’une des clés pour comprendre et comparer des contrats, consiste également à s’intéresser aux "petites lignes" que le client, nous le savons, ne lira jamais.

C’est ça, la bataille de la lisibilité : réunir dans le tableau de prestations les informations clés impactant de façon directe et certaine la compréhension de la profondeur des garanties proposées.

……Des informations, trop souvent sous les radars, qui pourtant, pourraient drastiquement modifier l’opinion du client quant au choix du contrat...

….Des informations indispensables à la démarche de comparaison entre contrats, et donc indispensables à leur lisibilité.

Trêve de suspens, je parle bien entendu de toutes les définitions et autres délimitations des prestations dans les CG.

Trop souvent, le diable se cache dans les détails.

Quelques exemples pour la route :

Est-il raisonnable, dans le tableau de prestations d'un devis, de prévoir un capital décès versé par anticipation au salarié en cas de perte totale et irréversible d'autonomie (PTIA), mais sans attirer l'attention du client sur la définition de la dite PTIA dans le même document ?

  • En effet, certains contrats limiteront le bénéfice du capital aux invalides de 3ème catégorie ou frappé d'un taux d'IPP de 100% ...
  • ...quand d'autres l'élargiront aux invalides de 2eme et 3 catégorie, ou frappés d'un taux d'IPP d'au moins 66%

Il faut se mettre à la place du client ou du salarié, qui s'il a le malheur de devenir invalide, n'aurait jamais imaginé être confronté à ces subtilités de définitions.

Est-il raisonnable, dans un tableau de prestations, de prévoir une rente éducation au profit des enfants du salarié décédé, sans attirer l'attention sur ce que l'on entend précisément par enfant "à charge", au même endroit, dans le même document, évitant ainsi de devoir fouiller les CG ou la notice ? La diversité contractuelle est de mise, et peut complètement changer la donne sur la portée d'une couverture. Il faut en effet voir au-delà des montants.

Saviez vous qu'un nombre important de contrats de prévoyance nient la possibilité de maintenir les seules garanties décès pendant un congé parental d'éducation ? laissant alors les enfants à charge sans capitaux en cas de drame familial ? Pourtant ce point n'est que rarement abordé au stade du devis, alors que c'est une information clé de la couverture proposée.

Est-il bien raisonnable, pour le client, au moment de choisir son contrat, d'être contraint de lire les CG pour savoir que le concubinage de tel contrat est reconnu après 2 ans de vie commune, quand celui de l'autre contrat ne prévoit aucun délai minimum ?

Alors bien sûr, l'idée n'est pas de transformer le tableau de garanties en un document de 64 pages qui ferait doublon avec les conditions contractuelles.

Mais simplement de mieux faire, pour reformater les livrables existants, selon des modèles de place permettant de saines comparaisons !

Je sais ce que vous allez me dire : mais c'est le job du courtier, de recenser, disséquer, analyser, confronter, pour in fine conseiller.

Oui c'est vrai. C'est ce que l'on fait chaque jour pour nos clients. Mais il parait que certains n'ont pas de courtier ;)

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